Rugby, cohésion sociale et réconciliation

juillet
2021
Le 10/07/2021 de 00:00 à 00:00

Participants

Festival et Forum de Baigorri

Plaquette de présentation

Galerie photos

En raison de la crise sanitaire, le programme d’été – Université d’été, Festival du film et Forum public – n’a pu se tenir en 2020. Cependant, en 2021 une journée a été consacrée au Forum public, une occasion d’échanger autour du thème « Rugby, cohésion sociale et réconciliation ».

Si la Justice transitionnelle semble désormais avoir trouvé une forme de stabilité intellectuelle et opération-nelle, ce mouvement ne doit pas occulter des situations plus atypiques dans lesquelles la Justice transitionnelle s’exerce au-delà de ses contextes classiques et de ses instruments reconnus. Liée aux crimes de masse, aux dictatures et aux sociétés en guerre, la Justice transition-nelle s’exerce désormais dans d’autres contextes tant politiques que sociétaux.
De la révélation des violences sexuelles dans des milieux éducatifs (tels que l’église catholique mais aussi le mouvement sportif) aux discriminations envers les groupes sociaux marginalisés, se développe une justice d’un type nouveau qui vise à révéler le passé et à construire l’avenir. Dans cette perspective, les ins-truments désormais mobilisés à l’appui des processus de Justice transitionnelle dépassent le traditionnel diptyque tribunal pénal / commission vérité. Ce nouvel arsenal semble poursuivre deux objectifs : atteindre d’autres publics, réconforter d’autres victimes, débusquer d’autres culpabilités et surtout toucher au plus profond – et parfois au plus intime – les ressorts de la violence et du traumatisme collectif et individuel.
Dès lors, à la suite des travaux que nous avons conduits en 2020, nous souhaitons approfondir ces recherches, en explorant de nouveaux domaines et en interrogeant des pratiques sociales participant à cette démarche, pour mettre en évidence de nouvelles formes d’exercice de la Justice transitionnelle. Dans cette perspective, le sport apparaît de plus en plus souvent comme l’un de ces instruments de la Justice transitionnelle. De nombreuses ONG sont ainsi impliquées. On peut par exemple citer les actions de « Right to Play », de Sport sans Frontières (devenue Play4International avec le programme Sport4Youth en 2008 à destination des jeunes du Kosovo) et de Peace and Sport (avec le programme consacré aux enfants soldats). Au niveau étatique et interétatique, des actions sont notamment menées en Côte d’Ivoire, au Mali (Tournoi Sportif pour la Paix et la Cohésion Sociale prévu du 05 au 12 mars 2021 à Gao) et au Rwanda dans le cadre de la réconciliation post-génocide. L’ONU, enfin, a consacré cette approche en faisant du 6 avril, la journée internationale du « Sport au service du développement et de la paix ».
En tant qu’activité sociale mobilisant un nombre élevé de participants et disposant d’une visibilité internationale conséquente, le rugby apparait non seulement comme un objet sociologique et politique, mais aussi comme une dynamique productrice de normes sociétales. Porteur de valeurs éducatives et sociales spécifiques, il s’inscrit tout à fait dans cette logique de diffusion des principes propres à la justice transitionnelle. Le rugby comme sport de compétition coordonne un ensemble complexe d’acteurs (joueurs, entraîneurs, éducateurs, supporters, dirigeants, journalistes) qu’il implique dans une perspective sportive mais aussi éducative et médiatique. Au-delà des pratiques physiques et techniques, le rugby reste porteur d’un certain nombre de signifiants sociaux dont il permet la diffusion au travers de la mobilisation sportive qu’il génère. Cette mobilisation peut directement ou indirectement contribuer à la diffusion et à la consolidation de principes qui participent des missions classiquement assignées à la justice transitionnelle (réconciliation sociale, prévention et lutte contre des phénomènes d’impunité, rétablissement des droits et de la dignité humaine).

Au travers de ce forum et de ses différentes tables rondes, nous avons souhaité mettre en lumière que certains mécanismes et valeurs traditionnels de la justice transitionnelle peuvent être portés par le sport en général et le rugby, en particulier. Lors de cet événement, nous souhaitions alors analyser les impacts sociaux du rugby en tant que sport de compétition, bénéficiant d’une exposition médiatique conséquente. Trois fonctions, classiques de la Justice transitionnelle et des principes énoncés par Louis Joinet, trouvent une illustration spécifique dans le monde du rugby :

Les sociétés sont régulièrement confrontées à des mécanismes de violences collectives qu’elles soient directes (violences « matérielles » pouvant opposer des structures organisées) ou latentes (violences découlant d’une réalité économique ou géopolitique spécifique). Dans ces situations constitutives de phénomènes d’exclusion et de fragmentation du corps social, le rugby a pu remplir une fonction de réduction des phénomènes de violence participant ainsi au maintien d’un dialogue et de pratiques susceptibles de contribuer à restaurer la cohésion de la communauté dans laquelle il s’exprime. Le rugby a parfois été confronté aux conflits et tensions sociales spécifiques des sociétés dans lesquelles il est pratiqué. Dans certaines circonstances, comme au Pays basque dans les années 1990, il est resté un espace d’interaction pacifique et de cohabitation au sein d’un environnement social divisé et a ainsi participé à diminuer ces tensions et à la résolution globale du conflit. Si le rugby s’est d’abord développé – notamment en Grande Bretagne – dans des milieux sociaux privilégiés, il a rapidement, tant en France qu’au Pays de Galles, touché des milieux plus populaires. S’il est aujourd’hui un sport socialement universel, il devient également un instrument d’intégration sociale à destination de populations vulnérables. L’action des ONG Serge Betsen Academy et Ovale citoyen – notamment au travers de la Charte du sport inclusif – apparaît particulièrement représentative de cette dynamique.

La prise en charge des victimes des violences sexuelles et des violences basées sur le genre est devenue l’un des axes majeurs de la Justice transitionnelle. Depuis le Prix Nobel décerné au Dr Mukwege et la prise de conscience de l’intensité de ce problème, de nombreux instruments ont été mis en place. Le rugby est doublement concerné par cette question. En tant que réseau d’associations et de structures de formation, il met en contact des enfants pratiquant avec des adultes et constitue donc – tout comme l’école, les églises et bien d’autres structures accueillant des jeunes enfants – un espace au sein duquel le risque de la pédocriminalité ne peut plus être éludé. Par ailleurs, comme activité incarnant des valeurs de combat et de « masculinité », le rugby exacerbe parfois certains stéréotypes de genre, avec le risque de voir certaines orientations sexuelles stigmatisées. Pour répondre à ces risques, le rugby demeure un espace d’éducation et de prévention, qui a développé depuis quelques années des initiatives intéressantes – et courageuses – dans ce domaine.

Le rugby de par ses origines britanniques, puis son développement en France, s’est structuré dans le cadre d’États coloniaux ou post-coloniaux, dont les sociétés ont été ultérieurement touchées par l’accession des peuples à leur souveraineté et donc par des traumatismes collectifs et individuels spécifiques, qui les ont profondément marquées. S’il a acquis une certaine forme d’universalité, le rugby reste parfois marqué par son environnement historique et ses origines « élitistes ». Néanmoins, la pratique du rugby a également été parfois associée à des mécanismes de réparations historiques et de reconstruction sociale. S’intégrant dans ce que Louis Joinet a désigné comme des « garanties de non-répétition », le rugby est devenu un symbole de réconciliation et de reconstruction collective. L’exemple de l’Afrique du Sud s’impose ici, tant la transformation de l’équipe nationale, instrument de la dictature raciste, en un symbole de réconciliation raciale à partir de 1995 s’inscrit dans l’histoire de la justice transitionnelle. Cette problématique concerne cependant la question plus universelle du statut des peuples autochtones au sein de sa pratique. Le débat ouvert par la campagne « Black lives matters » s’est exprimé au sein du rugby britannique touchant même l’un de ses symboles avec l’interrogation sur le « Swing low, Sweet charriot », qui résonne régulièrement dans les tribunes du stade de Twickenham.

La place des femmes est devenue aujourd’hui une question centrale et le rugby est également concerné par ces débats. Longtemps limitée à la pratique mas-culine et à une certaine culture « viriliste », ce sport s’ouvre de plus en plus, sur le plan tant du jeu que de son environnement. Au-delà même des questions de parité et d’égalité au sein des clubs et des équipes, des campagnes ont été conduites pour faire du rugby un instrument d’égalité et de respect dans l’ensemble de la sphère sociale. On peut citer ainsi, de la nouvelle Zélande à l’Afrique, de nombreuses opérations et orga-nisations qui ont mis en lumière le rôle du rugby dans la reconnaissance des droits des femmes et de leur posi-tion sociale. Cette problématique, qui est l’un des axes majeurs de notre action, devait être intégrée.
Nous avons souhaité convier des femmes joueuses de rugby de haut et niveau, mais aussi des journalistes, pour témoigner de la réalité de leur pratique et de leur ressenti. Cette invitation fait notamment suite au documentaire « Je ne suis pas une salope, je suis journaliste » et à la publication de la tribune « Occupons le terrain », publiée dans Le Monde, le 21 mars dernier.

Salam rugby

Film de Faramarz Beheshti 2010, 62 minutes

Pour conclure cette journée et à l’heure ou le rugby s’ouvre de plus en plus à la pratique féminine, sera projeté Salam rugby. Ce film retrace l’histoire des débuts du rugby féminin en Iran au moment de l’élection présidentielle, qui a vu la victoire du conservateur Mahmoud Ahmadinejad. Mêlant les considérations sportives et la dimension spécifique de la politique iranienne, ce film traite aussi du regard porté par les hommes sur le sport féminin et sur la libération qu’il représente pour des milliers de jeunes filles au sein d’une société patriarcale.