À l’heure de la commémoration de la Seconde guerre mondiale, le thème de la mémoire connaissait un regain d’intérêt et concentre l’attention des sciences sociales. Cette deuxième édition de l’Université d’été se proposait d’aborder un thème novateur et relativement méconnu : celui de la mémoire dans le cadre de la justice transitionnelle. Il s’agissait en résumé d’analyser et d’étudier comment la justice dans les situations post-conflictuelles peut contribuer, par les diverses formes qu’elle prend, aux différents mécanismes de représentation de la mémoire. Les conflits en ex-Yougoslavie ou au Rwanda, le génocide au Cambodge à la fin des années soixante-dix ou plus près de nous les crimes commis en République démocratique du Congo en constituent des exemples connus.
- Justice transitionnelle et mémoire
La Justice transitionnelle est représentée par l’ensemble des mécanismes judiciaires et non-judiciaires – natio-naux et internationaux – mis en œuvre à l’issue d’un conflit pour traiter des violations les plus graves et apporter aux victimes des réponses en termes de vérité, de réparations et d’identification des responsabilités. Elle œuvre également en faveur du processus de récon-ciliation nationale et se fixe notamment pour but de réaffirmer la légitimité du nouvel État et la prévention de la répétition de ces violations. Elle constitue un champ d’étude nouveau qui s’est développé dans les années 1980 et qui part d’un constat et d’un postulat. Le constat repose sur l’impuissance des États et de la communauté internationale à mener des poursuites pénales satis-faisantes et suffisamment larges pour être significatives : très souvent les procès, lorsqu’ils ont lieu, se limitent à quelques figures emblématiques et ne débouchent pas toujours sur les résultats escomptés. Le postulat en termes de justice consiste à inverser le point focal de la justice : alors que la justice pénale est centrée sur la punition des auteurs de crimes, la justice transitionnelle est focalisée sur les réponses apportées aux victimes. Elle fait partie de la justice restauratrice (restorative justice) développée notamment dans le cadre de la psychologie sociale. L’Université d’été proposée repose sur un rapprochement entre ce type de justice et la préservation et la promotion de la mémoire. Elle cherche notamment à s’intéresser aux relations qu’entretiennent ce type de justice (représenté entre autres par les Com-missions « Vérité et Réconciliation » comme celle constituée en Afrique du Sud entre 1996 et 1998) et la mémoire, largement entendue, comme élément de transmission d’un ensemble de faits et d’informations révélés par ce processus de justice transitionnelle. À titre d’exemple, on peut citer les expériences argentine ou sud-africaine. Dans le cas de l’Argentine, le proce-ssus engagé après la chute de la dictature a permis de révéler l’ampleur des violations et de traiter de nom-breux cas de disparitions forcées (notamment le vol de bébés). En Afrique du Sud, les travaux de la commission susmentionnée ont permis de rédiger un rapport de plus de quatre mille pages permettant de mesurer l’ampleur de l’emploi de la torture, des exécutions sommaires comme mode de gestion du conflit pendant les années de l’Apartheid. Les révolutions de 2011 dans le monde arabe ont elles aussi fait appel à cette forme de justice pour examiner les violations passées. Bien que ces expériences soient nouvelles et toujours en phase de réalisation, elles permettront de servir de champ d’étude à cette thématique.
- Une thématique interdisciplinaire
Le choix de la mémoire, comme thème central de réflexion sur l’impact de la Justice transitionnelle, ré-pond à une volonté délibérée d’associer les différentes sciences sociales qui gravitent autour de cette nouvelle approche de la justice, qu’il s’agisse de l’histoire, de la psychologie sociale, du droit, de l’anthropologie, de la sociologie, pour ne citer que les plus connues. La diver-sité des approches mais également leur richesse indivi-duelle et collective devraient intéresser un public diver-sifié et soucieux de déborder une approche purement monolithique des deux notions de justice et de mémoi-re. L’idée directrice de la réflexion consistera à s’inter-roger sur l’apport que la Justice transitionnelle peut produire en termes de mémoire. La différence fonda-mentale sur laquelle s’appuie la Justice transitionnelle repose sur les témoignages des acteurs qui permettent de reconstituer l’histoire. La logique des témoignages des victimes mais également des bourreaux permet de comprendre la dynamique des conflits et d’essayer d’apporter des réponses à des questions qui n’en ont pas encore reçu, qu’il s’agisse de découvrir le sort de personnes disparues, de permettre à des victimes de torture de faire face à leurs bourreaux pour les confronter à leurs actes ou plus simplement de com-prendre l’étendue de l’entreprise criminelle mise en pla-ce par les autorités ou les groupes organisés. Cette information brute, fondée sur le rassemblement d’« his-toires individuelles », constitue le matériau nécessaire à la construction de la mémoire. L’Université d’été se propose ainsi d’engager une réflexion sur la construction de la mémoire à partir de ces histoires recueillies dans le cadre des différentes expériences de Justice transi-tionnelle. Elle s’interrogera notamment sur la façon dont le processus lui-même de Justice transitionnelle conçoit la construction de la mémoire et sa représentation pour les générations futures. Le caractère novateur de ce projet repose sur l’association de chercheurs dont les préoccupations gravitent autour de la notion de mé-moire et de justice et sur son approche résolument interdisciplinaire. Elle permettra aussi d’analyser des problématiques plus sectorielles, comme la question du genre ou de l’âge et de mélanger la réflexion et l’ana-lyse aux études de cas concrets et de mesurer le poids spécifique de chaque contexte sur la construction de la mémoire. L’Université d’été s’intéressera notamment à la représentation de la vérité reconstruite par la mé-moire que ce soit à travers les analyses scientifiques ou la muséologie, l’art ou l’éducation.
Au programme de l'Université d'été 2016
La deuxième édition de l’université d’été mettait en exergue les liens entre « Mémoire et Justice transitionnelle » à travers différentes thématiques :
En quoi le processus de narration de la vérité par les victimes et les bourreaux contribue-t-il au processus de construction de la mémoire ? Chaque témoignage recueilli dans le cadre des processus de Justice transi-tionnelle correspond à une histoire enfouie que le processus de justice transitionnelle permet de révéler publi-quement. Ces histoires individuelles – tant du côté des victimes que des bourreaux – permettent souvent de reconstruire un passé partiellement occulté et d’identifier des dynamiques de violence parfois complexes. L’essence de ce séminaire se concentrera sur la valorisation de la vérité comme instrument de la mémoire. Matériau brut jouant un rôle multiple, la construction de la vérité officielle à travers le recoupement des his-toires de chacun constituera le fondement des analyses historiques de demain. La construction de la mémoire y apparaît comme un instrument clé fondé sur des témoignages initiaux et non reconstitués.
Comment la mémoire peut-elle devenir une forme de réparation pour les victimes ? Le deuxième volet de la Justice transitionnelle est représenté par les politiques de réparation. Loin d’être une reproduction des répa-rations dans le domaine de la responsabilité civile, la justice transitionnelle fait appel à une multitude de formes de réparations fondées sur les besoins des victimes. Si les réparations matérielles ne sont pas ex-clues, l’une des premières revendications consiste à exiger que l’on se souvienne des victimes. Qu’il s’agisse de mesures symboliques, telles que les jours du souvenir ou l’érection de mémoriaux et de monuments, ou bien de projets d’ampleur tels que la construction de musées ou de lieux du souvenir, la mémoire est omni-présente dans les demandes des victimes et constitue une de leurs revendications premières. Cette forme de réparation est à la fois productrice d’un effet cathartique et représente l’une des premières phases de la reconstruction des victimes et de la société.
L’identification des auteurs de violations comme mécanisme d’établissement des responsabilités permet-elle de cristalliser la mémoire ? Si l’identification et l’établisse – ment des responsabilités sont souvent considérés au sein de la justice pénale comme l’élément clef de la culpabilité des accusés, la justice transitionnelle cher-che davantage à comprendre l’enchaînement des responsabilités qui ont permis de donner lieu à l’ensemble des violations des droits de l’Homme. Si la responsabilité individuelle demeure, elle est souvent le résultat d’un enchaînement d’actes et d’actions qui sont le fruit d’un groupe dont le but a consisté à mener une entreprise commune de violations savamment orchestrées. En recherchant les ressorts de la violation au-delà du com-portement final du bourreau, la justice transitionnelle permet ainsi d’établir des responsabilités à différents niveaux : responsabilité individuelle et responsabilité collective, responsabilité des individus et responsabilité des personnes morales, responsabilité des personnes publiques et responsabilité des personnes privées. Ces chaînes de responsabilité permettent de retracer comment la violence a pu se développer et s’organiser et permet d’en conserver la trace. La mémoire joue alors un rôle de traceur et permet d’empêcher l’oubli des responsables. La clémence n’empêche pas le souvenir
Éduquer pour reconstruire. Comment la mémoire peut-elle servir la réconciliation par la diffusion et la trans-formation de l’information recueillie sur le conflit ? La promotion de la réconciliation constitue l’un des buts de la justice transitionnelle. Bien que la réconciliation soit ici entendue au sens de la capacité de vivre ensemble après un conflit violent, elle impose une politique de la mémoire comme ciment de la réconciliation. Alors que dans les précédents volets de la justice transitionnelle, la mémoire s’est construite, elle doit être diffusée et transmise durant le processus de réconciliation. Les politiques éducatives, l’art, la culture sont de puissants véhicules de cette construction de la mémoire. Le rôle de la mémoire dans les processus de réconciliation sera examiné à travers ses différentes formes en se fondant notamment sur des études de cas, qu’il s’agisse de programmes scolaires, de films ou d’écriture de pièces de théâtre
Quand l’image au sein de la justice internationale et nationale se mue en protectrice de la mémoire ! Si la justice transitionnelle n’est pas uniquement composée de mécanismes judiciaires, ces derniers n’en sont pas exclus et les procès pénaux internationaux font partie de la mémoire collective dans la répression des crimes internationaux. Ils ont été filmés et fait l’objet de documentaires ou de fictions, qu’il s’agisse du procès de Nuremberg ou du procès d’A. Eichman à Jérusalem ou plus près de nous des procès des tribunaux pénaux internationaux pour le Rwanda ou l’ex-Yougoslavie. Ces documents audiovisuels permettent de conserver une trace pour l’histoire et la mémoire des générations futures. La loi française de 1985 avait permis de filmer les procès et notamment celui de K. Barbie. Cette loi a été réutilisée pour le procès de P. Sibikwanga. La mémoire des procès passe ainsi par le recours aux nouvelles technologies de l’information et de la communication et permet de conserver la mémoire de la justice