Bourreaux et Justice transitionnelle

juin
2017
Du 03/06/2017 10:00 au 08/07/2017 12:00
30

Participants

Université d'été

Plaquette de présentation

Galerie photos

Cette quatrième rencontre proposait de s’intéresser aux bourreaux ou de façon plus générale aux auteurs de violations. Il ne s’agissait pas ici d’étudier la question classique des raisons permettant d’identifier la culpabilité des bourreaux mais de tenter de comprendre comment les meurtres de masse peuvent générer préalablement à leur réalisation, la transformation de personnes ordinaires en bourreaux et comment ces mêmes personnes agencent et ordonnent leurs actions pour obtenir le résultat décidé par les primo-responsables politiques qui conçoivent la réalisation de ces violations massives.

Le premier thème relatif à la fabrication des bourreaux nécessite de comprendre pourquoi et comment des individus qui n’ont apparemment aucune prédisposition pour le meurtre ou la violence, qui sont souvent des citoyens exemplaires en période de paix, peuvent se transformer en un temps relativement bref, en bourreaux obéissants voire zélés et sans aucun état d’âme, en n’ayant parfois pas conscience de ce basculement. En étudiant différents terrains de conflits, que ce soit à travers l’histoire ou la géographie, on décèle une permanence des causes mais également des moyens et méthodes utilisés pour la fabrication de ces bourreaux. Ces questions transcendent nombre de clichés sociaux : toute personne peut devenir un bourreau et le fait d’entrer dans une catégorie considérée comme « protégée » ne garantit aucune immunité de transformation. Les femmes et les enfants ont et continuent de faire de redoutables bourreaux qui permettent de mettre en œuvre la destruction programmée par les concepteurs de ces violences de masse.

Le deuxième thème relatif à l’action des bourreaux consistera à analyser et identifier les modes opératoires employés pour réaliser ces violences de masse. De la conception à l’action, le fossé peut apparaître large, etc. Il ne l’est peut-être pas tant que cela. L’analyse des phénomènes de grande violence démontre que ce passage à l’acte reste plus aisé que la logique de protection de la personne humaine ne le laisse supposer. La question de l’action sera ici examinée d’un point de vue psychologique et sociologique mais également dans ses modalités. Le deuxième thème relatif à l’action des bourreaux consistera à analyser et identifier les modes opératoires employés pour réaliser ces violences de masse.

Le troisième thème sera consacré à la responsabilité des bourreaux. Si le jugement et la condamnation des principaux responsables de ces violences de masse restent l’objectif de la justice pénale pour la commission de crimes internationaux, la majeure partie des bourreaux « ordinaires » réussit la plupart du temps à échapper à toute forme de poursuite ou de responsabilité. Cette thématique se propose d’étudier deux aspects fondamentaux de la responsabilité. La première vise à comprendre l’enchaînement ayant permis la réalisation de l’entreprise criminelle commune : chaque participant aux violences de masse occupe une place prépondérante mais sans nécessairement le savoir. Celle ou celui qui se trouve en bout de chaîne – tout responsable qu’il soit – n’aurait pas pu commettre ces exactions si l’organisation et la planification de ces violences n’avaient pas été aussi minutieusement pré-parées et réglées. Comment identifier la responsabilité exacte de chacun de ces bourreaux tout en s’interrogeant sur la part que chacune ou chacun a pu prendre à cet exercice ? Cet aspect de la thématique consistera donc à s’intéresser aux « petits » comme aux « grands » bourreaux, aux exécuteurs comme aux concepteurs… ainsi qu’à celles et ceux qui permettent la transmission de la violence extrême. Le deuxième aspect de la responsabilité consistera à s’intéresser à la sanction qui frappe potentiellement les bourreaux reconnus responsables. Outre le fait qu’un grand nombre d’entre eux échappent aux poursuites, l’idée d’une reconnaissance de leur propre responsabilité est souvent d’une importance capitale pour les victimes. L’absence de compte à rendre pour ces personnes responsables est donc susceptible de conduire à un sentiment d’impunité totale. Le dialogue peut-il s’instaurer directement entre les bourreaux et les victimes et reste-t-il souhaitable ? Cette question conduit à une réflexion beaucoup plus large sur la nécessité de traiter la question de la responsabilité des bourreaux, sous quelque forme que ce soit, afin de ne pas laisser le non-dit et les fausses explications s’ins-taller et conduire à une projection transgénérationnelle de ces responsabilités qui constitueront le sédiment d’une futur conflit quelques années ou décennies plus tard.

Le quatrième thème portera sur la réhabilitation des bourreaux. Les violences de masse ont en effet la particularité d’être commises « par un grand nombre sur un grand nombre ». Ce « double » effet de masse impose de prendre en compte la nécessité de gérer la question de la réhabilitation dès la fin du conflit au risque de faire perdurer le sentiment d’injustice. La réhabilitation des bourreaux suppose d’abord qu’ils aient été identifiés comme tels mais également qu’ils aient admis leur responsabilité. Deux questions se posent : comment réhabiliter les bourreaux ? Quelle est l’utilité d’une telle réhabilitation ? Cette réhabilitation passe tout d’abord par une reconnaissance juridique de leur responsabilité, que cette reconnaissance soit le fruit d’un jugement, d’une décision de clémence, d’une reconnaissance non-judiciaire de cette responsabilité. Elle impose en tout état de cause une connaissance des faits et de leur imputation que ce soit du côté des victimes ou des bourreaux. L’utilité de la réhabilitation des bourreaux est également indispensable pour la reconstruction. Dans les sociétés divisées, les bourreaux peuvent encore être perçus par certains groupes comme des victimes. La réhabilitation permet de réunifier la société en reconnaissant que ces personnes sont responsables mais ont également leur place dans la société, dès lors qu’elles en ont accepté les conséquences.

Au programme de l'Université d'été 2016

Le caractère novateur de ce projet reposait sur l’association de chercheurs dont les préoccupations gravitent autour de la compréhension des comportements des bourreaux et la réponse de la justice dans le cadre d’une approche résolument interdisciplinaire. Elle a aussi permis d’analyser des problématiques plus sectorielles, comme la question du genre ou de l’âge. Elle a également permis de mélanger la réflexion et l’analyse aux études de cas concrets et de mesurer le poids spécifique de chaque contexte sur la construction de la mémoire. L’Université d’été s’est intéressée notamment à la représentation des bourreaux reconstruite par la mémoire que ce soit à travers les analyses scientifiques ou la muséologie, l’art ou l’éducation.

Les participants ont ainsi pu saisir leur sens, leur portée et leurs enjeux.

Les mises en situation permettaient de mieux en appréhender les contours, qui ont constitué le fil rouge de l’université d’été.

Au regard des spécificités de la Justice transitionnelle, les organisateurs avaient choisi d’associer aux universitaires des praticiens (avocat, magistrat et médecin), mais aussi d’entrecroiser les disciplines en mêlant au Droit, la science politique, l’histoire et les questions de psychiatrie et de psychologie. L’objectif de cette démarche étant d’offrir aux étudiants l’opportunité de rencontrer des acteurs à même de leur apporter des regards complémentaires et de partager avec eux des expériences variées.