Que les règles juridiques connaissent des exceptions est pour le praticien du droit un constat trivial et routinier. En revanche, le philosophe et le théoricien du droit y puisent de nombreuses et profondes interrogations, comme l atteste depuis quelques années l essor des débats théoriques autour de la notion de « défaisabilité ». En premier lieu, les exceptions, même les plus banales, structurent en profondeur le raisonnement juridique. On ne raisonne pas avec les exceptions comme on raisonne à partir des seules règles ; lorsqu’une règle connaît des exceptions, on n a pas besoin, pour appliquer la règle, d établir que l ensemble des exceptions ne s appliquent pas ; les exceptions permettent donc d effectuer des inférences par défaut au moyen des règles, inférences qui seront le cas échéant bloquées lorsque une exception paraît devoir s appliquer. C est cette caractéristique que l on peut appeler défaisabilité du raisonnement juridique ; elle entraîne des particularités logiques intéressantes et révèle certains aspects généralement sous-estimés de l argumentation juridique. En second lieu, se pose la question de savoir dans quelle mesure les règles juridiques sont elles-mêmes défaisables, c est-à-dire ouvertes à des exceptions « implicites » et non spécifiables à l avance introduites par l organe d application du droit. Si la fonction d une règle est de résoudre et de préempter à l avance la balance des raisons, une règle peut-elle remplir son office et être défaisable, dès lors que pour déterminer l existence d une exception « implicite », le juge aura dû peser les raisons pour et contre l application de la règle elle-même ? Et n y a-t-il pas là quelque chose de profondément incompatible avec une théorie positiviste du droit, qui, semble-t-il, n admet pas que l on puisse « défaire » une règle pour des raisons morales ? Ce travail répond par la négative à ces deux questions, et propose d en trouver la solution dans une théorie de l interprétation juridique.