La notion de juge naturel, bien connue des juristes contemporains, s’accompagne paradoxalement d’une juridicité imprécise. Présenté aujourd’hui par la doctrine comme un véritable droit-créance, le principe du juge naturel plonge ses racines au coeur de l’histoire juridique et politique de l’ancienne France. L’intérêt de cette étude va cependant au-delà de la simple mise en lumière de l’origine du juge naturel. En effet, la complexité du système judiciaire, qui additionne le pluralisme juridique et le pluralisme juridictionnel, confère au juge naturel une place majeure permettant de déchiffrer ce système. La démarche suivie a alors permis de discerner deux regards portés sur la notion de juge naturel : celui du justiciable d’une part, et celui du juge d’autre part.
Dans le premier cas, le juge naturel apparaît au sein des sources comme une véritable garantie processuelle au profit du justiciable. Il est celui que le défendeur reconnaît pour être son juge. Or, c’est précisément le développement du possessif à travers l’expression médiévale du « judex suus » qui préfigure la construction de cette garantie. Seulement, la notion de juge naturel a également et principalement été utilisée au coeur de la concurrence des juges, laquelle s’est intensifiée avec la construction de l’État monarchique. Originellement invoquées dans les conflits qui opposent les juges royaux aux juges rivaux (seigneuriaux, ecclésiastiques, municipaux), les expressions « jurisdictio naturalis » puis « juge naturel » connaissent un destin sans précédent à l’occasion des conflits qui opposent les parlements au roi autour de la question éminemment politique de la justice retenue.